Heraclius
Dis-moi, au nom de ton Seigneur quelle grandeur, quelle magnificence, quelle fierté, et quel honneur est-ce que cette religion laisse dans les cœurs de ses adeptes ! Il s’agit de la voix de la vérité qui infiltre la douceur des cœurs et fait qu’ils soient attachés à Allah le Très Exalté, assujettis à Son omnipotence, ignorant toute douleur et toute difficulté qu’ils trouvent dans Sa voie. Mieux encore, ils les considèrent comme un plaisir, de la même manière que ceux qui suivent les passions trouvent leur plaisir pendant qu’ils s’adonnent à leurs passions. Cependant, quelle illusion entre d’une part les plaisirs et les passions qui suscitent regret et chagrin et d’autre part des plaisirs qui suscitent l’éternité et sont suivis par des délices… Ils ont choisi la voie juste qui les a conduits à ce bonheur qu’ils ont trouvé à côté d’Allah.
Pour parvenir au bonheur auquel ils sont parvenus, ce n’est pas difficile ; toutefois, cela demande du courage et la hardiesse de changer. Ils ont su que la voie qui mène au Paradis, c’est de suivre ce Messager s chez qui ils n’ont jamais connu de mensonge, ni de trahison, ni de perfidie. Écoutons plutôt ce que dit de lui l’un d’eux, en l’occurrence, Abû Sofyân ibn Harb avant sa conversion à l’islam : Il rapporte qu’il fut mandé par Héraclius alors qu’il se trouvait en Syrie à la tête d’une caravane de marchands qurayshites, durant la trêve conclue entre l’envoyé d’Allah (r) et les infidèles qurayshites. Les envoyés d’Héraclius arrivèrent auprès d’Abû Sofyân au moment où l’empereur et sa suite se trouvaient à Ilyâ ( NDT Ilyâ : transcription arabe de la première partie du nom que portait à cette époque Jérusalem (Elia Capitolina). ).
Entouré de hauts dignitaires grecs, Héraclius convoqua les Qurayshites dans la salle de réception ; puis il les fit introduire vers lui et invita son interprète à leur dire : lequel d’entre vous est le plus proche parent de cet homme qui prétend être Prophète ? Moi, répondit Abû Sofyân. Qu’on le fasse approcher, dit l’empereur ; qui donna aussi l’ordre qu’on plaçât mes compagnons juste derrière moi. Alors, s’adressant à son interprète, dis-leur, reprit-il, que je vais interroger cet homme sur le prétendu Prophète. Que ses compagnons le contredisent immédiatement s’il ment (Or, par Allah, ajouta Abû Sofyân, si je n’avais eu honte de voir mes mensonges éventuellement dénoncés par mes compagnons, j’eusse menti lorsque l’empereur m’interrogea sur Muhammad).
La première question qui me fut posée fut la suivante : Quel rang sa famille occupe-t-elle parmi vous. Il est de bonne naissance, répondis-je. Quelqu’un parmi vous, poursuivit Héraclius, a-t-il jamais tenu avant lui de discours semblables ? – Non. –A-t-il de rois parmi ses ancêtres ? – Non. – Ses partisans se recrutent-ils dans les hautes classes ou parmi les humbles ? – Parmi les humbles. – Leur nombre augmente-t-il ou va-t-il décroissant ? – Il augmente. – Y en a-t-il parmi eux qui, après avoir adopté sa religion la prennent en aversion et apostasient ? – Non. Le soupçonniez-vous de mensonge avant qu’il ne tint le discours qu’il tient aujourd’hui ? – Non. – Trahit-il ses engagements ? – Non ; mais nous avons conclu avec lui une trêve, et nous ignorons comment il se conduira au cours de cette trêve. Cette réponse, ajouta Abû Sofyân, est la seule dans laquelle je pus glisser une insinuation défavorable au Prophète (r) sans craindre de la voir relever.
Poursuivant ses questions, Héraclius dit : Avez-vous été en guerre avec lui ? – Oui, répondis-je. Quelle a été l’issue des combats livrés ? – la guerre entre nous a eu des alternatives : il a eu des moments de victoire sur nous, autant que nous avons parfois pris le dessus. – Et que vous ordonne-t-il donc ? – il nous ordonne de n’adorer qu’Allah seul, de ne Lui associer aucun être, de renoncer au culte de nos pères, de faire la prière, d’être de bonne foi, d’être chastes, de rester unis avec nos proches.
Alors, Héraclius chargea son interprète de dire à Abû Sofyân : « Je t’ai interrogé au sujet de sa famille et tu m’as répondu qu’il était de bonne naissance. Or les envoyés d’Allah ont toujours été choisis parmi les plus nobles de leurs communautés respectives. Je t’ai demandé si quelqu’un parmi vous avait déjà tenus un discours semblable, et tu as répondu que non. Alors en moi-même, j’ai pensé que si quelqu’un avant lui avait tenu le même propos, j’aurais pu croire que cet homme ne faisait qu’imiter ses prédécesseurs. Je t’ai demandé s’il y a eu des rois parmi ses ancêtres et tu m’as répondu par la négative. En posant cette question je pensais que, si un de ses ancêtres avait régné, cet homme cherchait à remonter sur le trône de ses pères. Je t’ai demandé si avant qu’il ne tint ce discours vous le soupçonniez d’être un menteur et tu as répondu que non. J’ai alors compris que s’il n’était pas homme à mentir à l’égard de ses semblables, il ne pouvait à plus forte raison mentir à l’égard d’Allah.
Je t’ai demandé si ses adeptes se recrutaient parmi les grands ou parmi les humbles et tu m’as répondu que c’était parmi les humbles. En fait c’est toujours eux qui forment les partisans des prophètes. Je t’ai demandé s’ils augmentaient en nombre ou s’ils diminuaient, et tu m’as répondu que leur nombre était de plus en plus important. Or c’est bien là le propre de la foi, de croître jusqu’à sa complète évolution. Je t’ai demandé si quelques-uns après l’avoir embrassé s’en détournaient avec horreur et reniaient, et tu m’as répondu par la négative. C’est bien ainsi qu’agit la foi quant elle pénètre dans les cœurs : les cœurs que sa grâce a pénétrés ne la prennent pas en aversion. Je t’ai demandé s’il manquait à ses engagements et tu as répondu que non. Il en est ainsi des prophètes, ils ne trahissent point. Je t’ai demandé ce qu’il vous ordonnait et tu m’as répondu qu’il vous interdisait d’adorer ce qu’adoraient vos ancêtres, qu’il vous prescrivait la salat, la bonne foi, et la pureté des mœurs. Si donc ce que tu dis est vrai, cet homme conquerra cet endroit que foulent mes deux pieds. Je savais que cet homme allait bientôt paraître, mais je ne m’imaginais pas qu’il serait des vôtres (les arabes). Quant à moi, s’il m’était possible de l’approcher je m’efforcerais de le rencontrer. Et si j’étais auprès de lui, je lui laverais les pieds ».
Ils ont choisi la voie juste qui les a conduits à ce bonheur qu’ils ont trouvé à côté d’Allah
Roman Forum; George Dorival, artist. 1920
Ensuite Héraclius fit apporter la lettre du messager d’Allah qui donna l’ordre à Dihya de la remettre au gouverneur de Bassora, ordre bien sûr respecté par ce dernier. Il lut la lettre qui était ainsi écrite : Au nom d’Allah le Tout Miséricordieux le Très miséricordieux, de la part de Muhammad esclave et messager d’Allah à Héraclius chef des grecs. Paix sur quiconque suit la bonne voie. Je t’invite à la foi musulmane, convertis-toi à l’islam, tu seras sauvé et Allah t’accordera une double part de récompense. Si tu te détournes de l’islam, tu seras en outre responsable du péché commis par tes sujets.
« Dis : ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions qu’Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne nous prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d’Allah”. Puis, s’ils tournent le dos, dites : “Soyez témoins que nous, nous sommes soumis” ».( 3 Al-Imran, 64. )
Abû Sofyân poursuivit son récit en ces termes : lorsque Héraclius eut fini de parler, des cris violents furent poussés par les grands personnages grecs qui l’entouraient, et un grand tumulte s’éleva ; je ne sais pas ce qu’ils disaient. L’empereur donna alors l’ordre qu’on nous fasse sortir. Lorsque nous fûmes dehors, seul avec mes compagnons, je leur dis : les affaires du fils d’Abû Kabcha doivent avoir pris de l’ampleur, puisque le prince des Banoul Afsar (Rome) le redoute. Depuis lors (malgré ma répugnance) jusqu’au jour où Allah ouvrit mon cœur à l’islam, je suis resté humblement convaincu du succès de Muhammad.
Ibn Nâtzour, gouverneur d’Ilyâ, ami d’Héraclius et évêque des chrétiens de Syrie raconte ce qui suit : « Héraclius de passage à Ilyâ se leva un matin de mauvaise humeur. Un de ses patrices lui dit alors : Nous voyons avec peine que tu n’as pas ton air d’accoutumé. Ibn Nâtzour ajoute que Héraclius qui était alors devin et qui observait les astres, répondit à l’observation qu’on venait de lui faire : Cette nuit en regardant les astres, j’ai vu que l’avènement du prince des circoncis venait d’avoir lieu. Quelles sont donc les nations actuelles qui pratiquent la circoncision ? Les juifs seuls, répondirent les courtisans, pratiquent la circoncision. N’aie donc pas la moindre inquiétude à leur sujet. Ecris dans toutes les villes de ton royaume pour ordonner qu’on mette à mort tout les juifs qui s’y trouvent. Ils en étaient là de leur conciliabule, quand se présenta à Héraclius un messager du prince de Ghassân chargé d’annoncer à l’empereur l’apparition du Prophète. Après avoir interrogé ce messager, Héraclius dit à ceux qui l’entouraient : « Allez examiner cet homme et voyez si oui ou non il est circoncis ». L’examen terminé, ils déclarèrent à Héraclius que le messager était circoncis. L’empereur lui ayant alors demandé si les arabes étaient circoncis et la réponse ayant été que oui, il s’écria :
« Ce que j’avais vu était alors l’avènement au pouvoir de ce peuple ». Ensuite il écrivit à l’un de ses amis dont la science égalait la sienne et qui habitait Rome, puis il se mit en route pour Emèse. Il n’était pas encore arrivé dans cette ville qu’il reçut de son ami une lettre qui confirmait l’idée qu’il avait eue de l’avènement de Muhammad et du caractère prophétique de sa mission. Alors Héraclius convoqua tous les hauts dignitaires grecs dans la grande salle intérieure de son palais d’Emèse et, après en avoir fait fermer les portes, il se plaça dans un endroit élevé et dit : Peuple grec, désirez-vous le bonheur ? Voulez-vous être dans la voie droite et conserver votre suprématie ? Eh bien prêtez serment de fidélité à ce prophète. En entendant ces mots les grecs avec la furie d’ânes sauvages, se ruèrent vers les portes mais ils les trouvèrent fermées. Héraclius vit leur dispersion et désespéra de leur foi. Il donna l’ordre de ramener tout le monde devant lui et dit : Le discours que je viens de tenir n’avait d’autre but que d’éprouver votre attachement à votre religion ; maintenant je suis édifié. Les grecs se prosternèrent devant lui et lui marquèrent leur satisfaction. Ainsi finit cette aventure d’Héraclius. Ce récit est rapporté par Saleh ibn Kîssân, Younous et Maamar d’après Zouhri. ( Rapporté par Al-Boukhari, chapitre un : le début de la révélation. )
الحمد لله رب العالمين وصلي اللهم على أشرف المرسلين وعلى آله وصحبه أجمعين
Abdou Rahman Ach-Cheihah
Traduit de l’arabe par
Editions Assia
Njikum Yahya & Mountapmbème Idriss